Le Titikaka le lac navigable le plus haut du monde… et ce depuis si longtemps...
Si nous nous risquons à feuilleter les pages poussiéreuses de l'histoire du Lac Sacré des Incas, d'agréables surprises s'offrent à nous… et, une fois de plus, nous découvrons que le Titikaka est une source intarissable de fabuleux trésors...
Nous savons très bien que, depuis des temps immémoriaux, les natifs de la région se déplaçaient sur de frêles esquifs faits de roseaux de totora, toujours utilisés aujourd'hui par les Indiens des îles flottantes des Uros dans la baie de Puno.
Nous n'ignorons pas que les conquistadores espagnols, à peine arrivés sur les bords du grand lac, construisirent des embarcations en bois, de taille respectable, pour sillonner les eaux profondes du Titikaka à la recherche des importantes richesses et des trésors enfouis en son sein.
Mais nos connaissances s'avèrent plus réduites lorsque nous nous intéressons d'un peu plus près à ce que nous pourrions appeler la navigation de l'époque industrielle du XIX et du XX siècle. Peu d'entre nous savent que le premier bâtiment lancé à la conquête des flots bleus du Titikaka fut une embarcation mixte, de bois et de fer, appelée "Independencia" (l'Indépendance). Au sujet de ce premier bateau à vapeur, nous n'avons trouvé que bien peu de documents jusqu'à présent. Nous savons seulement qu'il fut inauguré aux alentours de 1821 - d'où son nom - et qu'il sombra lors de son voyage inaugural… vraisemblablement face à la petite ville de Juli.
La "Aurore du Titicaca", fut la deuxième embarcation de grande taille à assumer le transport sur le lac. Construite aux Etats Unis en 1855, elle fut amenée jusqu'au port de Islay à Arequipa. Transportée ensuite à dos de mules, en pièces détachées, à travers toute la Cordillère des Andes, elle atteignit finalement la petite ville de Puno où elle fut assemblée. Cette goélette de double mât navigua sur les eaux de notre lac jusqu'en 1876. L'embarcation, vouée originellement au transport de marchandises entre les divers ports du lac (Vilquechico, Moho sur le territoire péruvien et, à partir de 1871, Huarina en territoire bolivien) fut aménagée pour recevoir d'avantage de passagers et pour permettre un transport plus rapide entre les côtes Est et Ouest, Sud et Nord du lac.
En ces temps-là, d'illustres personnalités comme le sage Raimondi ou encore l'explorateur nord-américain James Orton furent passagers de la goélette lors de leurs voyages sur l'Altiplano péruvien.
Et pourtant, après tant années de bons et loyaux services, par une nuit de 1876, un destin funeste attendait la "Aurore du Titicaca"… Alors qu'elle revenait de Moho à Puno, la goélette approcha de trop près les récifs de la pointe extrême Est de l'île d'Amantani et s'abîma dans les eaux profondes du lac
En 1861, le gouvernement du Maréchal Ramón Castilla ordonna la construction de deux navires de 140 tonnes destinés au lac Titikaka. Chaque bâtiment devait être réalisé " entièrement en fer et rivets ". En 1862, deux compagnies anglaises furent donc chargées de la construction des deux navires : le"Yavari" et le "Yapura" Ils furent assemblés une première fois en Angleterre pour vérifier leur conformité et immédiatement démontés pour que leurs 2766 pièces puissent voyager sur le cargo "Moyola" et rejoindre le port d'Arica sur la côte Pacifique. Les pièces de cet immense puzzle devaient ensuite voyager par train jusqu'à Tacna pour enfin traverser la Cordillère des Andes à dos de mules et finalement arriver dans la baie de Puno (3812 m. d'altitude) après six longues années de voyage…
Afin de procéder à l'assemblage, qui dura plusieurs années, un chantier naval artisanal fut construit spécialement à cet effet dans le petit port de la cité lacustre. Le jour de Noël 1870, le "Yavari" fut finalement lancé sur les eaux du lac navigable le plus haut du monde. Son jumeau, le "Yapura" suivit le 18 mai 1872. Aujourd'hui ces deux bâtiments sont les plus anciens navires de fer navigants du monde.
En 1874, les deux embarcations passèrent aux mains d'entreprises privées. Durant des décades, infatigablement, le "Yavari" et le "Yapura" réaliseront fidèlement leur travail de transporteur mixte pour passagers et marchandises entre les ports péruviens et boliviens du lac.
En 1976, le"Yapura" et en 1977 le "Yavari" furent à nouveau incorporés à la Marine de Guerre du Pérou. Et si, actuellement, le navire "Yapura" rebaptisé "B.A.P. Puno" continue de servir comme bateau-hôpital et comme appui logistique de la Capitanie du port de Puno, le "Yavari",après avoir voyagé quelques temps sous le pavillon de la Marine, fut très vite mis à la retraite.
En 1893, la flotte s'était dotée d'une nouvelle recrue : le vapeur "Coya". Comme le nombre des précédents vapeurs se révélait incapable de répondre à l'accroissement du commerce florissant dans tout le Bassin du Titikaka, la Peruvian Corporation prit la décision de construire une nouvelle embarcation. En 1892, deux entreprises d'Ecosse furent chargées de réaliser ce petit bijou, considéré pour son époque comme un des bâtiments les plus modernes de sa catégorie au niveau mondial.
Après que chacune ait été soigneusement révisée dans l'arsenal écossais, les milliers de pièces furent envoyées au port de Mollendo et transportées par le cargo anglais "Gulf of Florida". L'assemblage eut finalement lieu à Puno sous la supervision de l'ingénieur anglais John Wilson. L'inauguration, le 4 mars 1893, donna lieu à de grandes fêtes de réjouissance qui furent célébrées non seulement à Puno mais aussi sur tout le territoire péruvien.
Vapeur mixte comme ses prédécesseurs, cette moderne embarcation permettait le transport de marchandises, ainsi que de 45 passagers en première classe.
Jusqu'à 1986, le "Coya" continuera de travailler pour la Peruvian Corporation et, postérieurement, pour l'entreprise des Chemins de fer du Pérou. Ainsi, après avoir navigué durant quasi un siècle, et après que la grande inondation de 1986 l'ait drossé sur la rive, l'antique vapeur fut tristement abandonné à son sort aux abords de l'ancien chantier naval de Huaje (Puno).
L'avenir du "Coya" se dessinait chaque jour plus obscur. Mois après mois, année après année, des gens sans scrupule démantelaient pièce par pièce ce trésor du patrimoine de Puno. Le "Coya" commençait une lente agonie... A de nombreuses reprises, ses propriétaires voulurent s'en défaire comme ferraille proposée à l'une ou l'autre entreprise de fonderie... Sa mort était déjà programmée ...
En octobre 2001 le "Coya" fut vendu à Lima, loin des yeux des habitants de Puno. Ils ne le vendirent pas comme le prestigieux vapeur qu'il avait été mais comme simple ferraille tout juste bonne à être découpée et envoyée à la fonderie.
Par chance, le "Coya" connut un véritable conte de fée... Un homme d'affaire, Juan Barriga, amoureux de son pays, de sa culture et de son histoire, sensible à la beauté, manifesta toute sa détermination à valoriser le passé de son terroir. Il tint à protéger son Patrimoine comme bien peu de Péruviens le feraient. Lorsqu'il apprit que des ouvriers s'apprêtaient à démanteler le vieux navire, il se rendit le jour même à Puno et, sans l'ombre d'une hésitation, racheta ce que peu de gens considéraient encore comme un trésor tant l'antique vapeur était méconnaissable.
En moins d'un an de travail acharné et grâce à une équipe d'ouvriers de toutes les spécialités, ce personnage hors du commun restructura, reconstruisit, redécora, remeubla son vieux navire pour transformer cet antique vapeur oublié de tous en un nouveau joyau du paysage lacustre.
Il nous incomberait aussi de conter la triste histoire du majestueux vapeur "Inca" construit comme les précédents dans les prestigieux arsenaux anglais du début du XX siècle. Son incorporation à la flotte de notre lac se fit en 1903, il offrit ses services de transport mixte durant des décades.
Sa fin fait partie des pages les plus sombres de notre histoire lacustre... En 1994, des personnes sans scrupules, sans aucun respect dû au patrimoine historique de notre lac, guidés par le seul appât du gain, décidèrent, après de rapides transactions gardées secrètes, de démanteler à la sauvette ce joyau. Il fut ainsi vendu comme ferraille à une fonderie d' Arequipa... Triste fin pour cette précieuse relique de notre passé.
Nous devrions aussi évoquer l'orgueilleux vapeur "Ollanta" avec son imposante silhouette, lancé sur les eaux du Titikaka en 1930 ou l'impressionnante drague "Zuñiga II" incorporée à la flottille en 1936.Tous les visiteurs de Puno la reconnaîtront facilement dans la baie pour ses impressionnantes dimensions et pour sa couleur rouge. Evoquons encore le ferry wagonnier "Manco Capac" relativement moderne qui navigue entre le Pérou et la Bolivie depuis 1972...
Mais conter cela serait déjà parler des temps modernes… et d'une autre époque…
Christian Nonis
chnonis@titicaca-peru.com